Même les Argentins n'avaient osé l'imaginer. Après l'annonce de l'élection de Jorge Mario Bergoglio par le conclave, il aura fallu quelques minutes pour que les Argentins, et derrière eux toute l'Amérique latine, réalisent qu'ils le tenaient enfin, "leur" pape.
Personnellement, j'ai été aussi un peu sonnée. C'est moi qui ai annoncé à mes coloc la nationalité du nouveau pontife, et ils ne m'ont pas crue sur le champ. Tout le monde ici a été très surpris, même les experts en religion (enfin selon mon prof de littérature), et en quelques minutes "Otra mano de Dios !" (Encore la main de Dieu !) est devenue l'une des phrases les plus populaires parmi les statuts de mes amis Facebook, en référence à la "main de Dieu" de Diego Maradona.
Il faut dire que ce pape cumule les premières : premier pape non-européen, premier pape jésuite, premier François.
Jorge Mario Bergoglio a donc choisi de se faire appeler Francisco. Cela fait référence à François d'Assise, qui a marqué l'histoire catholique par son approche de la pauvreté, qu'il considérait comme une noblesse. Ce qui semble bien correspondre au nouveau pontife. Adepte des voyages en bus et en métro par soucis de coût, Jorge Mario Bergoglio s'est fait un nom en persuadant des centaines d'Argentins de ne pas l'accompagner à Rome pour pouvoir revendre leurs billets d'avion et distribuer ensuite l'argent récolté aux pauvres.
La nouvelle messe sera désormais célébrée en partageant le corps du Christ sous forme de criollos et en buvant son sang matéifié... |
Lors de sa première prise de parole en public en tant que pape, il a déclaré : “Parece que los cardenales me fueron a buscar al fin del mundo” (Il semble que les cardinaux sont allés me chercher au bout du monde).
Clarín et La Nación (les deux principaux journaux argentins) saluent bien évidemment l'élection d'un pape du Nouveau Monde qu'ils qualifient d'évènement positif pour toute l'Amérique latine. Les deux quotidiens mettent aussi avant l'impact politique de cette élection : Jorge Bergoglio entretient de mauvaises relations avec les Kirchner et pour la présidente argentine, sa désignation est même une nouvelle assez gênante.
Cependant, l'élection de Bergoglio ne fait pas consensus en Argentine. J'ai pu assister lors de mon cours d'économie (niveau 4 s'il-vous-plaît, le meilleur dispensé à la UCC alors que tout le monde sait que je suis à l'économie ce que Tony Parker est à la chanson; je tente le truc mais je n'y arrive pas) à un débat très intéressant. Globalement, les étudiants argentins n'aiment pas le personnage de Bergoglio. Certains soulignent l'aspect positif de son élection donnant un rôle clef au niveau mondial à une personne de leur propre nation. D'autres regrettent le fait qu'il s'agisse justement de cet homme qui pourrait ternir leur image à l'international car il est entaché dans les affaires de la dictature militaire des années 1970.
Le jésuite à la mine austère a en effet été confronté à de graves accusations de collusion avec la junte militaire argentine dans les années 70. En 2005, un défenseur des droits de l'homme argentin avait porté plainte contre lui en l'accusant de s'être rendu complice de l'enlèvement de deux jésuites progressistes en 1976. Des accusations qu'il a toujours démenties.
Des membres du Front de Gauche ont relayé dès son élection les photos le montrant en train de bénir le général Videla, qui dirigea la dictature militaire.
A peine le nom du nouveau pape était-il connu que des interrogations sur son rôle pendant la dictature argentine (1976-1983) refaisaient surface. L'Eglise catholique argentine et l'ancien archevêque de Buenos Aires Jorge Mario Bergoglio sont accusés d'avoir gardé le silence sur les exactions commises alors par les militaires.
Pour autant, il apparaît difficile d'établir des responsabilités précises. D'abord parce que de nombreux documents de l'époque ont été détruits, ensuite parce que beaucoup des protagonistes sont morts.
Si l'Eglise argentine a déjà publiquement reconnu son silence coupable, Jorge Bergoglio a toujours démenti les accusations portées contre lui. Les plus précises sont venues du journaliste Horacio Verbitsky, qui assure que Bergoglio, alors patron de l'ordre des jésuites, aurait donné son feu vert à l'armée pour l'enlèvement de deux prêtres. Pure calomnie selon lui.
Aujourd'hui, quatre catholiques sur dix sont des Latino-Américains. L'Amérique latine compte 200 millions de catholiques de plus qu'en Europe. Le changement est à portée historique.
Ce fut un évènement très intéressant à observer depuis l'intérieur du pays et qui m'aura aidé à comprendre encore un peu mieux la culture de mon pays d'accueil.
Voici de manière un peu humoristique une autre façon de considérer cette élection :
"Ce que le monde a vu" // "Ce que les Argentins ont vu" |
Haha j'adore l'image humoristique, tellement eux !!
RépondreSupprimer